"Le lâcher-prise est la grande affaire. C'est en même temps, si tu n'y prends garde, la grande illusion. Car celui qui veut lâcher prise est le même que celui qui ne veut pas lâcher prise. Pied sur l'accélérateur et pied sur le frein, tu ne peux que faire du surplace. Et faire surchauffer ton moteur, c'est à dire ton mental. Lève le pied. Les deux pieds. Et reviens au point mort, le bien nommé. Qu'arrive-t-il? Rien d'extraordinaire. Au lieu de rugir, ton moteur ronronne. Puis au bout d'un moment, tu t'arrêtes tranquillement, puisqu'il n'y a plus nulle part où aller. Quel calme soudain! Tu ouvres la portière. Tu descends. Et tu fais quelques pas. Tu te sens heureux. C'est bon deux jambes qui marchent à leur rythme! Et comme cela repose de cet accélérateur et de ce frein tyranniques. Tu entends même le chant des oiseaux que te cachait ton moteur. Les oiseaux aiment les marcheurs silencieux. Alors tu marches et tu écoutes. Quelque chose en toi se détend, se dénoue. Te voici passif et tout à la fois présent. Tu t'aperçois que ta main s'est ouverte, que la prise s'est lâchée d'elle-même. Tu es sidéré. Tu n'en reviens pas d'être à ce point toi-même quand tu n'es plus "en prise" sur toi. Bonne route l'ami !"
François Roux, L'En neuf -LXXIII-